Le Sénat soutient les auteurs
31 octobre 2008 par Pascal Rogard - Weblog
C'est à une très large majorité et sans aucune voix contre, seul le groupe communiste s'abstenant que le Sénat a adopté le projet de loi "création et Internet ". Un succès que Christine Albanel pourra savourer après les vicissitudes créées par l'amendement Bono qui un temps a semé trouble et perturbation.
Sous le regard désabusé des expérimentés lobbyistes de la "Quadrature du net", l'ensemble des groupes politiques du Sénat ont abordé grâce au travail remarquable de la commission des affaires culturelles et de son rapporteur Michel Thiollière la discussion dans un esprit constructif avec le souci de défendre les auteurs ,renforcer les garanties offertes aux internautes suspectés d'actes de contrefaçon numérique et d'améliorer les offres légales.
D 'emblée, c'est Serge Lagauche au nom du groupe socialiste qui s'est livré à un sévère réquisitoire contre l'interprétation abusive de l'amendement 138 :
"Sans revenir sur le détail du dispositif de la « riposte graduée », qui nous a été parfaitement décrit par M. le rapporteur et par vous-même, madame la ministre, je regrette à mon tour les vicissitudes de l'amendement no 138, dit « amendement Bono », qui a le mérite de rappeler aux États membres un principe essentiel de l'ordre juridique communautaire : toute atteinte aux libertés fondamentales nécessite l'intervention d'une autorité judiciaire.
Si l'on ne peut nier que la possibilité pour tous les citoyens d'accéder à internet est un objectif de développement important, il nous paraît excessif qu'un encadrement de son utilisation soit considéré comme une atteinte aux droits essentiels de l'homme revêtant un caractère liberticide. Ajoutons que les garanties offertes dans le projet de loi pour assurer la sécurisation des données personnelles qui seront collectées par la HADOPI et l'anonymat des internautes sanctionnés ont été respectées, grâce en partie aux amendements de la commission des affaires culturelles.
Une telle démarche est d'autant plus navrante qu'elle tente de faire passer les auteurs et l'ensemble de la chaîne des ayants droit pour de terribles censeurs de l'internet, alors qu'il s'agit ni plus ni moins de faire respecter, sur le net comme ailleurs, les règles de la propriété intellectuelle tout en les adaptant au nouvel environnement numérique.
Cependant, madame la ministre, votre projet de loi ne nous satisfait pas pleinement en ce qu'il ne reflète pas suffisamment la philosophie des accords de l'Élysée. Ces derniers reposaient sur un équilibre entre les droits et les obligations des ayants droit. En d'autres termes, la mise en place d'un système innovant de riposte graduée doit avoir pour corollaire un certain nombre d'obligations dont le respect permettra le développement de l'offre légale de musique et de films."
Le ton était donné et Catherine Tasca vice présidente du Sénat s'est chargé d'enfoncer le clou:
"La loi DADVSI avait été la source d'affrontements caricaturaux entre les partisans du « tout-gratuit », aspiration illusoire, et les tenants d'une répression à grande échelle, sourds aux pratiques nouvelles qu'offre la révolution numérique.
Le moment est peut-être venu, avec ce nouveau projet de loi, de mettre enfin un terme, au moins pour un temps, à ce combat, qui ne sert pas plus la création que les utilisateurs, comme l'illustre l'inefficacité de la loi DADVSI. Or force est de constater que cette opposition perdure aujourd'hui, et la responsabilité du Gouvernement dans ce domaine est réelle.
Nous attendons trois choses de cette loi.
Tout d'abord, la réaffirmation du principe et du respect du droit d'auteur. Malmené par le piratage massif qui s'opère sur internet, ce droit est fragilisé dans le débat public, la montée des nouveaux usages « on line » revenant à nier le lien entre l'œuvre et son créateur. Il est donc nécessaire et urgent de rappeler la raison d'être du droit d'auteur, la nécessité d'en assurer le respect et de contrer les manquements.
L'occasion est donnée, avec ce projet de loi, de réaffirmer que le droit d'auteur est à la fois un droit matériel à une juste rémunération et un droit moral à disposer personnellement de ses œuvres. Il est la condition sine qua non de l'émergence et de la vitalité de la création. Remettre en cause le droit d'auteur, c'est risquer de tarir la source de la création. C'est parce qu'il est assuré de pouvoir plus ou moins bien vivre de son œuvre que l'artiste peut trouver sa juste place dans notre société. Enfin, le droit d'auteur est aussi, face à la puissance de certains producteurs, un rempart contre la marchandisation de la culture.
Il ne fait aucun doute que l'abandon du droit d'auteur, la rupture avec ce qui constitue tout à la fois une conquête sociale, culturelle et politique, signerait l'arrêt de mort de la création.
Ce serait d'abord sacrifier tout un tissu d'entreprises culturelles – ce qui aurait de graves répercussions sur l'emploi –, mais aussi renoncer à une ambition ancienne et toujours réaffirmée, par la gauche notamment, de soutien à la création originale. Les premiers à subir les conséquences d'une rupture avec la logique du droit d'auteur seraient les petites entreprises culturelles, les créateurs et les producteurs indépendants.
Le projet de loi réaffirme le principe de ce droit et la nécessité de son respect. C'est une bonne chose, pour nous, socialistes, qui sommes profondément attachés à la création, à sa vitalité, à sa diversité, ainsi qu'à ceux qui la font vivre.
Ensuite, la révolution des techniques et des comportements, avec le numérique, ne peut servir de prétexte à la remise en cause du droit d'auteur, sans offrir d'issue alternative.
À cette occasion, nous devons évoquer le débat sur les libertés et droits fondamentaux. Dans la situation actuelle, qui se caractérise par un piratage de masse, seule la liberté des créateurs de disposer de leur œuvre et d'en tirer une juste rémunération est véritablement menacée.
Invoquer un droit fondamental d'accès à internet, alors qu'il s'agit moins d'un droit que d'une facilité, celle de télécharger sans contrainte, ne me paraît pas légitime. Dans notre société, tous les droits sont assortis d'obligations légales ou réglementaires. L'égalité d'accès à la culture n'a d'avenir que si elle s'accompagne d'un certain nombre de règles s'imposant à tous, producteurs comme utilisateurs. Notre vision des libertés s'inscrit dans le respect d'un état de droit.
À l'évidence, les pratiques sur internet évoluent aujourd'hui plus vite que le cadre juridique. Raison de plus pour ne pas autoriser un usage illégal, dont le premier résultat serait d'éliminer des pans entiers de la création !
Sans nier le caractère perfectible de ce projet de loi, la mécanique dite de riposte graduée qu'il introduit nous semble, par sa logique pédagogique et de dissuasion, présente le mérite de ne pas ouvrir les vannes de façon irresponsable et irréparable.
Enfin, nous sommes conscients que nous légiférons à un moment qui appelle des mesures d'urgence. Pour autant, cette volonté de préserver le droit d'auteur par un mécanisme de dissuasion ne doit pas déboucher sur un statu quo qui reviendrait à nier les aspirations culturelles des internautes. C'est sur ce point que le projet de loi nous semble déséquilibré.
Madame la ministre, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles du Sénat, vous déclariez que « la montée en puissance de l'offre ne se poursuivra qu'à condition que la lutte contre le piratage porte ses fruits ». De même, les accords Olivennes affirmaient la nécessité d'avancer dans un même mouvement sur la lutte contre le piratage et sur la montée en puissance de l'offre légale.
Or, le texte que vous proposez semble conditionner l'offre légale à la lutte contre le piratage. Vous participez ainsi à entretenir un sentiment de défiance chez les internautes. C'est la raison pour laquelle la responsabilité du Gouvernement est réelle dans l'opposition qui persiste entre internautes et créateurs. Nous ne voulons pas de cette guerre-là !
Pour opérer la conciliation chère aux accords « Olivennes », il nous paraît indispensable de travailler à ce que le droit d'auteur conquière de nouveaux territoires et prenne le tournant de la révolution numérique, tout en tenant compte des aspirations des internautes."
C'est sur le terrain du développement de l'offre légale que Christine Albanel a eu le plus de difficulté à défendre son projet.
Les majors de la musique ayant eu l'intelligence d'anticiper sur le calendrier prévu pour la suppression des DRM , c'est l'immobilisme de la profession cinématographique sur la question de la chronologie des médias qui a été unanimement stigmatisé. Il est vrai que l'annulation par le CNC sous la pression des exploitants de salles d'une réunion portant sur cette question renforçait la désagréable impression que le projet de loi avait une jambe plus courte que l'autre comme l'a souligné Jacques Legendre président de la commission des affaires culturelles en résumant ainsi la situation
"Un mot de l'esprit dans lequel nous avons travaillé. Le législateur prend ses responsabilités en adoptant un régime efficace anti-piratage. Mais il souhaite que les internautes aient les meilleures raisons de ne pas recourir au piratage : une offre légale attrayante !".
Sous l'impulsion de Catherine Morin Desailly et de Serge Lagauche, le Sénat a d'ailleurs sous forme d'amendement donné un premier avertissement aux esprits préhistoriques qui continuent à penser que la luttre contre la piraterie doit précéder l'amélioration des conditions d'attractivité des offres légales.
Gageons que si rien ne bouge avant l'examen par l'Assemblée nationale, on passera de l'avertissement à la mise en demeure.
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