Le Davos des Tuileries
1 juin 2011 par Pascal Rogard - économie numérique
L’idée du Président de la République de réunir avant le sommet du G8 un eG8 réunissant les entrepreneurs et créatifs de l’Internet avait incontestablement du sens et devait permettre de confronter les points de vue des tenants d’un eldorado à conquérir et ceux d’un Internet civilisé soumis à une forme de régulation.
Mais faute de temps ou d’argent l’Etat a confié l’organisation de ce forum à des sociétés privées qui lui ont conféré un statut de Davos des Tuileries où la longueur de l’expression était étroitement liée à l’épaisseur du carnet de chèque.
Les patrons des entreprises stars du secteur ont eu du mal à sortir de la langue de bois ou des vantardises commerciales.
Heureusement la propriété intellectuelle placée au centre des débats par Nicolas Sarkozy fut l’occasion de querelles susceptibles de sortir la salle d’une douce torpeur au fonds bien réjouissante car montrant que même les jeunes technos du net peuvent après un bon repas s’assoupir comme de vulgaires VRP.
Le président de la République a réaffirmé en de termes forts son attachement au droit des auteurs et au respect de la propriété intellectuelle mettant un terme définitif aux illusions de ceux qui pensaient à l’occasion de la création du conseil national du numérique qu’il avait changé d’avis :
« Vous avez permis à chacun, par la seule magie du Web, d'accéder d'un simple clic à toutes les richesses culturelles du monde. Il serait vraiment paradoxal que le Web contribue, à terme, à les assécher.
Cette immense richesse culturelle qui fait l'éclat de nos civilisations, nous la devons à la puissance créative des artistes, des auteurs et des penseurs. En un mot, nous la devons à ceux qui travaillent à l'enchantement du monde.
Pourtant cette puissance de création est fragile car si les esprits créatifs sont spoliés du fruit de leurs talents, ils ne sont pas simplement ruinés, plus grave, ils perdent leur autonomie, ils seront contraints de mettre leur liberté en gage.
Je vous le dis en pensant à un homme, un français mort il y a plus de deux siècles, qui avec une seule pièce de théâtre a fait vaciller une monarchie presque millénaire, un homme aussi qui, avec Lafayette, fut l'un des premiers défenseurs de l'Indépendance américaine.
Cet homme, il vous ressemble car, parti de rien et n'ayant que son intelligence pour tout bagage, il a renversé un ordre que l'on croyait immuable et éternel. Cet homme, c'est Beaumarchais. Ce même homme a inventé le principe du droit d'auteur. Il a, alors, fait mieux que de donner aux créateurs les droits de propriété de leurs œuvres, il leur a garanti l'indépendance, il leur offert la liberté.
Je sais et j'entends bien que notre conception « française » du droit d'auteur n'est pas la même qu'aux États-Unis ou dans d'autres pays.
Je veux simplement dire notre attachement à des principes universels, ceux que proclament aussi bien la Constitution américaine que la Déclaration des Droits de l'Homme : personne ne doit pouvoir être impunément exproprié du produit de ses idées, de son travail, de son imagination, de sa propriété intellectuelle.
Ce que j'exprime ici chacun de vous doit pouvoir l'entendre car avant d'être des entrepreneurs, vous êtes des créateurs et c'est en vertu de ce droit de créateur que vous avez pu fonder des entreprises qui sont aujourd'hui devenues des empires. Ces algorithmes qui font votre puissance, cette innovation permanente qui fait votre force, cette technologie qui change le monde sont votre propriété et personne ne vous le conteste. Chacun de vous, chacun de nous, peut donc comprendre que l'écrivain, le réalisateur, le musicien, l'interprète puissent avoir les mêmes droits.
Ce droit des créateurs à pouvoir recevoir la juste rétribution de leurs idées et de leurs talents vaut aussi pour chacun des États que nous représentons. »
Un point de vue vivement critiqué lors du débat sur la propriété intellectuelle par John Perry Barlow tout droit sorti d’un club de musique country qui contestait le droit d’auteur comme protégeant les multinationales des industries culturelles et portant atteinte au droit à l’information et à la liberté d’expression.
Paradoxalement le seul créateur susceptible de répondre sur le terrain des auteurs fut Frédéric Mitterrand qui n’eut aucun mal à rappeler qu’il connut des périodes de vaches maigres où le droit d’auteur fut sa seule ressource.
Il parait que l’eG8 élabora des conclusions qui furent portées à la connaissance des chefs d’Etat mais le prix du billet Paris Deauville était hors de portée des bourses des auteurs ou des quidam de la société civile.
Compte tenu du succès sans précédent du proverbe québécois de mon dernier billet et pour permettre à tous les admirateurs de la belle province de passer un délicieux week- end de l’ascension, je leur dédie cette maxime : « On bourre sa pipe avec le tabac qu’on a »
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Commentaires (1)
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« John Perry Barlow tout droit sorti d’un club de musique country »…
C’est bien gentil de se moquer ainsi, mais ce qu’il dit est vrai: Vous avez un soutient de nos gouvernements sur des chiffres liés à l’industrie culturelle, a peu près aussi pifométriques que la taxe copie privé (jamais mis un MP3 sur une carte SD: usage photo uniquement) comme Nègre et ses 3 trillions évoqués à l’eG8…
Mais c’est aussi en raison d’intérêts convergents à avoir une infra de filtrage sous couvert de droit d’auteur… pouvant être utilisée pour tout ce qui déplairait au petit prince que Chirac « aurait dû écraser… du pied gauche ».
Dans l’ordre des priorités à défendre, Barlow a raison. Sans doute 9 français sur 10, dont les ancêtres ont coupé les têtes couronnées, vous le diraient. Chiffrage aussi fiable que ceux de Nègre :o)