Orgueil et préjugés
9 février 2012 par Pascal Rogard - économie numérique
Nul n'ignore le rôle des cabinets dans la vie politique, ni celui des entourages.
Mais cette nécessité de déléguer et de bénéficier de conseils peut dans certains cas conduire ceux qui ne paient pas et n'ont aucune légitimité démocratique à mener des croisades dont il n' est pas sûr que la personne au nom de laquelle elles sont conduites ait parfaitement conscience.
C'est ainsi que je n'ai jamais compris pourquoi Lionel Tardy député particulièrement connecté et homme plutôt sympathique avait lancé une croisade contre le droit d'auteur et encore plus contre les SPRD qui défendent collectivement les intérêts non seulement des auteurs mais aussi des artistes et des producteurs
Et la lumière vint non pas des étoiles, mais en lisant le blog de son assistant parlementaire consacré à deux sociétés bénéficiant d'une dédicace spéciale la SCAM et la SACD rebaptisée pour l'occasion SCAD.
Ayant le privilège de l'age et d'une création en 1777 par Pierre Augustin Caron de Beaumarchais qui eut l'idée de réunir les auteurs pour une défense collective de leurs droits, je ne peux pas laisser passer un tel acharnement qui me rappelle celui dont le héros du très beau film de William Wyler l'obsédé témoignait à l'égard de ses innocentes victimes.
Passons sur les "cultureux" et "les parrains dans tous les sens du terme", appréciations qui appartiennent plutôt au registre de l'injure qu'à celui de l'analyse objective et que l'on s'étonne de trouver sous la plume - ou plutôt sous le clavier - d'un assistant parlementaire.
Plus ennuyeuse est la contradiction qui sous-tend cette opinion.
Il nous est expliqué que les auteurs adhèrent à la gestion collective parce qu'elle est plus efficace pour percevoir leurs droits, qu'elle permet des économies d'échelle et donne une certaine force de négociation. La déduction logique serait qu'elle soit donc profitable aux auteurs. Au contraire la conclusion impitoyable est qu'elle les emprisonne. Je ne comprend pas très bien le lien entre les deux idées, s'il y en a un.
Mais le plus grave est le défaut d'information que traduit ce texte, grave émanant d'une personne qui est moins que quiconque censée ignorer la loi
Un auteur a tout à fait la possibilité de quitter la société de gestion collective à laquelle il appartient ou de limiter son apport à certains droits. Les statuts des sociétés d'auteurs sont conformes au droit de la concurrence et ce sous le contrôle des autorités européennes et nationales compétentes.
Si seuls quelques auteurs font ce choix c'est uniquement parce que leur succès et leur notoriété leur en donnent la possibilité. Faut-il que le droit d'auteur ne serve qu'à assurer la protection de quelques auteurs ?
N'est-il pas d'ailleurs paradoxal de soutenir que la plupart des auteurs ne récupèrent que peu de droits de leur société et en même temps promouvoir une liberté - apparente - qui ne bénéficierait qu'à ceux qui rencontrent, souvent provisoirement, le plus de succès ?
L'alternative à la gestion collective est généralement la gestion individuelle, c'est-à-dire la cession des droits à un producteur ou à un éditeur pour des durées très longues - 30 ans au minimum et souvent toute la durée de la propriété littéraire et artistique .
Un auteur ne peut donc "sortir" de la gestion individuelle, alors qu'il le peut à tout moment de la gestion collective sauf dans les cas d'exception où étant rendue obligatoire il lui reste néanmoins la faculté de s'adresser à la société de son choix. C'est donc du côté de la gestion collective que se situe la liberté.
Où va l'argent ? La simple consultation des rapports annuels des sociétés d'auteurs aurait permis de s'en faire une idée avant d'écrire, mais il n'est pas trop tard.
Ajoutons que les sociétés de gestion collective appartiennent à leurs adhérents et qu'elles sont contrôlées par une commission composée de magistrats et de fonctionnaires sous l'autorité de la Cour des comptes, commission instituée il y a plus de dix ans par le Parlement. Ses rapports sont publiés chaque année. Aucune institution publique ni aucune organisation privée ne fait l'objet en France d'un contrôle plus régulier et plus approfondi qu'une société d'auteurs.
Quant au principe des aides accordées à la création au titre de la rémunération pour copie privée, faut-il rappeler qu'il est prévu par la loi et a fait l'objet d'un vote unanime du Parlement Français comme d'ailleurs le fondement juridique de la gestion collective ?
Mais sans doute les préjugés et les lieux communs rencontrent-ils davantage d'écho que les faits ; c'est même généralement à çelà qu'on les reconnaît.
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Commentaires (12)
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Où avez vous vu que mon blog est celui d’un assistant parlementaire ? C’est écrit nulle part dessus… et c’est parfaitement voulu, car une personne ne se résume pas à un aspect de son activité.
Les propos qui y sont tenus reflètent des opinions personnelles, qui ne sont pas toutes, loin de là, reprises dans d’autres domaines d’activité.
Enfin, elles n’engagent strictement que moi, et certainement pas d’autres personnes, qui n’assument que ce qui est sous leur nom.
Ainsi vous avez deux hémisphères qui ne communiquent jamais .
Heureux homme !
Ils peuvent communiquer, mais avec des filtres, et ils ne se confondent pas
Nul ne conteste que la rémunération pour copie privée a été prévue par la loi, votée au Parlement, ni que cette loi prévoit les fameux 25% d’aides à la création. Toutefois, comme toute loi en démocratie, il est possible de la contester, quand bien même elle a été votée à l’unanimité (d’ailleurs, vous savez comme moi que, sur ces sujets techniques, seuls quelques députés sont présents).
La suite ici: http://david.monniaux.free.fr/dotclear/index.php/post/2012/02/09/Les-25-de-la-%C2%AB%C2%A0redevance-copie-priv%C3%A9e%C2%A0%C2%BB
Jekyll ou Hyde ?
La lecture de ce blog et de ce post est proprement effarante. L’on y ressent l’urgence d’introduire une formation sur l’économie, la gestion et l’histoire de la gestion des droits de la propriété intellectuelle dans la formation de nos « élites » qui ne peuvent faire de leur schizophrénie (ou de leur duplicité) une excuse. Que propose donc ce bicéphale personnage ? Une gestion individuelle totalement privée, une gestion centralisée étatique, autre chose ou rien du tout ? On aimerait savoir.
L’amateurisme serait pardonnable si n’était pas révélée à cette occasion par Pascal Rogard le rôle potentiel de la deuxième moitié de la personne. On peut jouer à Docteur Jekyll et mister Hyde tant que l’on est pas rattrapé par ses responsabilités.
Bonne journée.
Lucien Véran. Professeur. Aix-Marseille Université.
Bien vu,très bien vu.
Je ne propose rien. J’analyse, je pose un débat, c’est tout. Pourquoi vous acharner à faire dire plus que ce que les gens disent ?
Il y a certainement la place pour une gestion collective mieux encadrée, avec des SPRD qui restent à leur place et sont réellement au service des créateurs, et pas de leurs propres intérêts…
Si je défendais les seuls intérêts de la SACD, je serai un chaud partisan de la licence globale,contribution créative et autres fumisteries…….
Monsieur Véran, votre bicéphalie n’est pas mal non plus… enseignant (donc censément scientifique et neutre) et conseiller des industries culturelles…
Bientôt on va être chez les tricéphales.
vive Lucien
Sans relancer un débat en cours, il y a des vérités démontrées et ouvertes à l’analyse qui valent mieux que des affirmations ou des croyances non ouvertes à la discussion. Dans notre débat « pluri-cérébral » je peux en effet sans problème soumettre à nos étudiants vos idées mais l’échange serait plus complet si l’on savait d’où parle le locuteur. Car souvent dire d’où l’on parle, pour qui l’on travaille, qui l’on défend éclaire la destination visée.
Et je ne conseille personne..que je sache.
Cordialement et bonne journée.
Lucien Véran.
« cette nécessité de déléguer et de bénéficier de conseils peut dans certains cas conduire ceux qui ne paient pas et n’ont aucune légitimité démocratique à mener des croisades »
C’est vrai que les plus dangereux sont ceux qui paient les influences de politiques et n’ont pas plus de légitimité démocratique!
Des lobbies cela s’appelle… L’intérêt vous dinstingue donc…