Sueurs froides
23 novembre 2014 par Pascal Rogard - économie numérique
Mercredi dernier la création française retenait son souffle dans l'attente des arrêts du Conseil d'Etat concernant les deux dernières décisions de la commission qui fixe les barèmes de la rémunération pour copie privée.
Un moment important car des annulations auraient sérieusement mis à mal un régime de gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins qui concilie juste rémunération et large accès du public aux œuvres mais avait déjà été fragilisé par des interprétations négatives de la juridiction française et de la cour de justice de l'Union Européenne
Demander à Apple et certains de ses semblables de rémunérer les possibilités d'accès aux œuvres que permettent les outils technologiques qu'ils fabriquent est une entreprise aussi étrange que celle de faire rire les honnêtes gens.
Et quand ils sont intellectuellement malhonnêtes,il y faut encore plus d'endurance et de persévérance et ce même si les parlementaires français lui avaient témoigné leur fort attachement.
Les arrêts du Conseil d'Etat ont sans ambiguïté mis fin à une longue période d' incertitudes et devraient permettre à la justice civile de sanctionner les manquements à la loi en obligeant les fabricants et revendeurs à verser aux auteurs, artistes et producteurs les sommes déjà perçues auprès des consommateurs.
Ces arrêts présentent l'intérêt d'établir un florilège de tous les détours et manœuvres auxquels se sont livrés Apple et ses affidés pour échapper aux obligations qui leur incombent et ne sont que la contrepartie de la vente de supports qui mettent en jeu l'exception pour copie privée.
Pour bien troubler l'eau du bain , il convient d'abord de nommer au sein de la commission chargée d'établir les barèmes de rémunération non pas un spécialiste des produits concernés mais son avocat qui n'y siégera que pour trouver les failles destinées à nourrir de futurs contentieux.
Ensuite la commission travaillant sur des études d'usage et après avoir participé au choix du prestataire et approuvé le questionnaire soumis aux consommateurs refuser de financer les études et rejeter tous les travaux effectués dans le but de jeter la suspicion sur les méthodes de travail de la commission compte tenu de l'impossibilité matérielle pour l'Etat soumis aux règles des marchés publics d'en faire lui même la commande dans le délai requis par le législateur.
Enfin quelques semaines avant la date butoir des délibérations démissionner en bloc , déclarer qu'une commission ainsi incomplète ne peut plus rien décider et espérer ainsi convaincre le juge administratif d'annuler les barèmes votés .
Cette accumulation de mauvais procédés n'a sans doute pas échappé à la sagacité du Conseil d'Etat qui a jugé qu' à l'impossible nul n'est tenu et qu' à force de voir tirer les maillots devant le but , il lui revenait de siffler le penalty.
Il est vrai que voulant toujours échapper aux impositions de toute nature qu'elle devrait acquitter la marque de Cupertino a pris de très mauvaises habitudes et que respecter les lois des Etats où elle exerce ses activités n'est pas dans sa nature.
Le coup de massue que lui a infligé le Conseil d'Etat devrait conduire les grands pays de l'UE à adopter les mesures permettant de mieux protéger les ressources de leur citoyens en mettant fin à tous les systèmes de tricheries dont le Luxembourg est le champion.
Pour en revenir à la copie privée , il appartient désormais au gouvernement de recomposer la commission en séparant le bon grain de l'ivraie et peut-être au gouvernement et au Parlement d' en accroitre sa légitimité en renforçant en son sein la représentation de l'Etat.
Car le système de dialogue entre la création et les fournisseurs de supports d'enregistrement peut parfaitement fonctionner comme l'ont montré les résultats positifs des discussions entre ayants droit et représentants des entreprises de télécommunication .
Le droit d'auteur pourra évoluer, mais il doit toujours être protégé ainsi que l'a rappelé récemment Fleur Pellerin, car il est consubstantiel à la liberté de création et d'expression.
C'est pourquoi ceux qui ont organisé au cœur de l'Europe un système d'évasion fiscale et installé au Luxembourg une sorte de cour des miracles n'ont aucune légitimité pour mettre en cause à Bruxelles les droits fondamentaux des créateurs issus du siècle des lumières.
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