Poussez pas les créateurs dans les cactus
18 janvier 2016 par Pascal Rogard - audiovisuel, économie numérique
La vie de l’Assemblée Nationale n’est pas un long fleuve tranquille. Dans ce petit théâtre qui n’est jamais avare de rebondissements, de coups tordus et de dialogues brillants mais aussi faiblards et fatigués, cette semaine ne nous aura pas réservé le meilleur.
1er acte – mardi 11 janvier : à la surprise générale, le député frondeur Christian Paul fait voter, au sein de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, trois amendements au projet de loi sur la République numérique : le premier instaure un domaine commun informationnel ! Le vocabulaire nébuleux a dû sortir de l’esprit d’un informaticien tourmenté.
Pour planter le décor suggérons qu'il s’agit de donner une définition positive du domaine public afin notamment de protéger les œuvres qui de ce fait ne sont plus protégées de toute réappropriation qui pourrait être abusive.
Généreuse et noble démarche à saluer ! Sauf qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée en amont, qu’aucune expertise juridique approfondie étudiant les conséquences d’une telle mesure sur la propriété littéraire et artistique n’a été réalisée et qu’aucun juriste sérieux n’est à ce jour en mesure d’avoir un avis tranché et définitif sur la question et que cette question est de la compétence du Ministère de la culture et non des geeks anti création de l'économie numérique.
Second amendement : la possibilité serait donnée aux auteurs de se dépouiller de façon volontaire de tout droit sur leurs œuvres pour les confier au domaine commun. Comme chacun sait, et encore plus quand on est un frondeur luttant pour défendre les droits des travailleurs, nous vivons dans un monde idyllique dans lequel les pressions qui peuvent peser sur les auteurs n’existent bien évidemment jamais ! La volonté des auteurs est forcément libre, indépendante et éclairée (à la différence de la volonté évidemment viciée des étudiants qui prétendent vouloir travailler le dimanche dans les commerces ou les grands magasins)
Troisième amendement : Une nouvelle exception non rémunérée au droit d'auteur habilement dénommée "liberté de panorama"qui prive les auteurs des œuvres exposées dans l'espace public de la rémunération liée à l'utilisation de leur travail.
Derrière ces propositions un lobbying intensif du président du CNN et de quelques acolytes peu soucieux de respecter les arbitrages du premier ministre et les textes régissant le fonctionnement de cette institution qui installe un lucratif lobbying numérique au coeur de l'appareil d'Etat.
Les talibans numériques sont prêts à tout car ils rêvent de démanteler la propriété littéraire artistique comme leur collègues Afghans les bouddhas de Bâmiyân pour mieux gérer leurs petites affaires.
2nd acte – mercredi 12 janvier : dès le lendemain, la sage Commission des Lois revient sur ces amendements considérant notamment que la réflexion est loin d’être mûre et doit être prolongée par un travail indépendant pour avoir une vue plus exacte de l’instauration d’un domaine commun informationnel et demande que l'exception panorama soit clairement limitée aux particuliers
Suite du débat : Cette semaine en séance plénière !
3ème acte – jeudi 13 janvier : Nouveau jour, nouveau sujet : l’Assemblée nationale doit voter sur la proposition de loi du sénateur vert André Gattolin prévoyant de supprimer la publicité alimentaire sur les programmes jeunesse de France Télévisions à partir de 2018 pour lutter contre l’obésité infantile. Surprise : la majorité socialiste se trouve mise en minorité par des Verts plus nombreux et la mesure est votée, avec à la clé une perte de près de 20 millions d’€ prévue pour France télévisions. La proposition de loi retournera maintenant au Sénat pour y être à nouveau examinée.
Cette histoire n’est pas une fable mais il y a de quoi en tirer bien des leçons.
Car derrière ces deux thématiques différentes, une seule logique : celle des bons sentiments et de la générosité apparente, que nous pourrions tous spontanément partager si nous n’avions pas un peu réfléchi aux conséquences .
La responsabilité du législateur ne peut pas être celle d’agir sans avoir développé une réflexion juridique approfondie, sans avoir envisagé l’impact économique des mesures adoptées, sans avoir pris en compte l’ensemble des enjeux et avoir évalué leur complexité, sans avoir essayé d’identifier les effets pervers et contreproductifs des mesures proposées.
La suppression de la publicité alimentaire lors des programmes jeunesse de France Télévisions est à cet égard typique d’une forme d’aveuglement et d’inconséquence que 4 questions aux promoteurs de cette mesure permettent d’illustrer :
-La télévision ne fait-elle rien pour lutter contre l’obésité infantile et la promotion d’une bonne alimentation dans les programmes et publicités diffusés ? Bien sûr que oui puisque la télévision est un espace régulé, responsable et qui s’est engagé via une charte (dont la SACD est signataire). Résultat : près de 750 heures de programme pédagogiques, informatifs et éducatifs par an sont diffusés dans ce cadre
- Les exemples d’interdiction ou de limitation de la publicité à l’étranger ont-ils montré leur efficacité ? Pas vraiment si on l’on en croit l’exemple suédois (publicité interdite pour les enfants de moins de 12 an) où 8% des enfants sont en surpoids ; Au Québec, où la publicité a disparu en 1989, l’obésité des jeunes a toujours été en hausse depuis.
- La télévision est-elle le seul support où la publicité alimentaire peut toucher les jeunes ? Pas du tout !
On se demande bien d’ailleurs, si la publicité alimentaire est si dangereuse, pourquoi continuer à l’autoriser sur les chaînes privées et sur l’Internet ? On devine vite l’inefficacité d’une mesure qui ne vise pas tous les supports et tous les programmes que peuvent visionner les enfants. D'ores et déjà, La publicité alimentaire dans les programmes jeunesse est très présente majoritairement sur les chaînes commerciales non concernées par cette mesure et c'est heureux pour la création de programmes pour la jeunesse .
Elle serait de surcroît contreproductive car il est certain que la publicité alimentaire, exclue du service public, se détournera davantage encore vers les chaînes commerciales mais surtout vers Internet (les GAFA piaffent déjà d’impatience de récupérer des ressources sur lesquelles ils ne paient ni impôt ni contribution au financement de la création) et le hors-média, qui eux ne sont pas absolument pas maitrisés ni régulés.
N'est ce pas un mauvais coup contre le service public et l’animation française ? Bien sûr
Qui peut croire que la perte estimée entre 15 et 20 millions d’€ pourrait être facilement comblée dans le contexte actuel ?
Les spécialistes du ya ka fo kon se sont empressés de dire qu'ils avaient plein de solutions de rechange. Mais, tout esprit un peu sérieux sait qu'aujourd'hui, 20 millions d' euros ne se trouvent pas sous le sabot du premier contribuable venu. Au-delà, cette mesure menacera l’attractivité de la case jeunesse pour France télévisions et pourrait avoir des répercussions négatives sur l’animation française et l'emploi de ses nombreux talents.
Bref, le coup serait réussi pour ces nouveaux champions : aucune efficacité pour la lutte contre l'obésité infantile, une fragilisation du financement de France Télévisions tout en donnant un bon coup de pouce aux chaînes commerciales et aux GAFA, au détriment de l'animation française secteur audiovisuel d'excellence.
Il y a au Parlement de sacrés artistes mais vraiment dommage que leur principal talent soit le lancer de peaux de bananes sous les pieds des créateurs français.
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Commentaires (3)
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Encourager ou interdire ?
Nos édiles manquent d’imagination et ne pensent qu’à interdire. Apprendre aux jeunes à décrypter les pubs, les encourager à faire du sport aux travers de programmes adaptés, encourager les marques et les agences à s’associer aux efforts des fédérations sportives…Mais, il faudrait déjà peut-être faire le point sur ce que regardent vraiment les jeunes en question.
Bonne journée.
Lucien Veran. Aix Marseille Université.
Bonjour,
Vos propos me font peurs, et les amalgames aussi, talibans du numérique … rien que ça ?
Contrairement aux terroristes détruisant les architectures qui appartenait à la liberté de panorama pour information (a moins que leur lointaine descendance en ai réclamé des droits, inexistant à cette époque ?)
Bref, contrairement aux terroristes qui détruisent l’œuvre il n’est pas question de destruction dans la liberté de panorama, ni même d’appropriation, mais de la simple prise du vue de l’environnement, alors certes il peut exister des dérives, mais le droit d’auteur n’en n’ai-t’il pas rempli lui aussi ?
Vous parlez de privation des droits d’une œuvre exposé dans l’espace publique, mais n’est-ce pas avant tout parce-que l’œuvre se trouve dans l’espace publique qu’elle puisse exister ? Car pour la majorité des cas, les œuvres sont achetés par la région, financé par les impôts, etc, de ce fait les droits de l’œuvre dans l’espace publique ne devrait il pas être le même que celui de l’espace publique ?
Et pour le moment, le Lobby des droits d’auteurs n’ayant pas encore fait pression, l’espace publique n’est pas lié aux droits d’auteur, mais bon, cela devrait changer,déjà que la publicité qui semble cher à votre cœur y est omniprésente.
Effectivement, lorsque je regarde le paysage, lorsque je fait un film, même amateur, ou simplement lorsque je suis dans cet espace je devrait payer le paysagiste, l’architecte, etc qui ont fait ce lieu ?
Il y à peu l’état américain à créer une loi permettant aux société américaine de s’acheter les planète, nous en France, nous vendons nos rues et nos paysages …
Bonjour Pascal,
Je cite:
« tout esprit un peu sérieux sait qu’aujourd’hui, 20 millions d’ euros ne se trouvent pas sous le sabot du premier contribuable venu »,
certes, mais certains contribuables qui retrouveraient la raison combleraient aisément cette baisse des recettes.
http://www.bloomberg.com/news/articles/2016-01-15/apple-may-be-on-hook-for-8-billion-in-taxes-after-europe-probe
http://www.lerevenu.com/placements/economie/la-commission-europeenne-accuse-la-belgique-de-favoriser-les-multinationales