Les infortunes de la vertu et la prospérité du vice
13 mars 2018 par Pascal Rogard - Cinéma, économie numérique
En confiant à deux esprits éclairés Dominique d'Hinnin et François Hurard le soin de sortir les règles de la chronologie des médias du bourbier dans lesquelles elles sont enlisées depuis l'accord du 6 juillet 2009, François Nyssen faisait le pari de l'intelligence, de la modernité et de la prise en compte de réalités qu'imposent à tous les acteurs de la création et de la diffusion cinématographique le développement des nouveaux services numériques.
Les deux médiateurs ont dans un premier temps conçu le scénario d'un chronologie rénovée permettant aux œuvres cinématographiques d' être plus rapidement accessibles sur tous les supports et d'ouvrir la porte à de nouvelles sources de financement rendues indispensables par l'érosion de la capacité de financement de Canal plus.
Cet exercice de réflexion sereine, s' est immédiatement heurté à la convergence des intérêts particuliers et commerciaux de ceux qui conçoivent la chronologie des médias comme le moyen idéal de créer des barrières à l'entrée et de maintenir la visquosité du marché de la diffusion cinématographique en repoussant au delà du raisonnable les possibilités d'intervention de nouveaux opérateurs.
L' insigne faiblesse des médiateurs est d'avoir rapidement rendu les armes et cédé à ces pressions boutiquières .
La prime donnée au conservatisme démontre que la méthode d'autorégulation par les acteurs en place ne peut se substituer pour la définition de règles qui portent atteinte au principe de libre circulation des œuvres à l'intervention du gouvernement et du Parlement.
Au rayon des bizarreries, les propositions des médiateurs débutent par un préambule parfaitement hors sujet, sans lien avec la chronologie et l'objet de leur mission, qui demande aux créateurs de reconnaitre la légitimité d'une troisième coupure publicitaire des films.
On ne saurait ainsi mieux se soumettre aux désidérata des chaines commerciales émettant en clair qu'en demandant aux auteurs de reconnaitre la légitimité d'un charcutage supplémentaire de leurs œuvres .
Au nom du réalisme Dominique d'Hinnin et François Hurard ont sans état d'âme jeté par dessus bord leurs bonnes intentions initiales et cédé aux pressions des boutiques obscures .
Le principe de neutralité technologique revendiqué pour aligner dans la même temporalité, la diffusion des œuvres par les service de vidéo à la demande à l'acte et la vente ou location de DVD se trouve ainsi aussitôt renié lorsqu'il s'agit de reconnaitre que la VàD par abonnement peut se positionner dans le même nouveau créneau de diffusion que celui est généreusement accordé à Canal plus à savoir 6 ou 7 mois après la sortie en salles.
Symbole de ce reniement, les conditions drastiques imposées aux services de Vidéo à la demande par abonnement pour bénéficier d'une fenêtre démarrant à 13 ou 15 mois .
A Canal plus par contre , il n'est pas demandé de respecter le droit d'auteur alors que la chaine commet depuis le début de l'année une grave infraction pour les répertoires de la fiction cinématographique et audiovisuelle ainsi que de l'animation en diffusant les œuvres sans avoir l'autorisation des auteurs après avoir brutalement suspendu au cours de l'année 2017 les paiements dus aux sociétés d'auteur au titre des contrats en cours .
Les téléspectateurs vivant dans les zones d'ombre de la réception hertzienne terrestre ont d'ailleurs été brutalement victimes des mêmes méthodes de chantage et d'intimidation lorsque la diffusion de TF1 par TNT Sat a été interrompue au milieu d'une oeuvre audiovisuelle.
Le nouveau système est certes plus souple, mais il n'a rien d'innovant et affiche clairement une barrière à l'entrée qui justifie a minima une saisine préalable de l'Autorité de la concurrence.
Enfin une dernière curiosité que les spécialistes apprécieront le documentaire est considéré comme un sous-genre mineur pouvant bénéficier d'une dérogation spécifique dès lors que le coût de l'œuvre est inférieur à 1 million € .
Les créateurs qui rament pour faire connaitre au public des œuvres de fiction à faible budget apprécieront ce traitement de défaveur .
Les propositions des médiateurs si elles sont mises en œuvre auront au moins le mérite d'assurer à la fiction audiovisuelle au détriment du cinéma un bel avenir sur les services de vidéo à la demande par abonnement.
Je ne saurai trop les remercier d'avoir compris que le cinéma n'est pas fait de bonnes intentions et qu'un scénario efficace se doit de jeter dans les malheurs et l'infortune la "vertu" des jeunes pousses et d'assurer au vice une heureuse prospérité .
Continuez votre lecture avec
- Article suivant : La leçon de français du président
- Article précédent : En route vers l’égalité H/F
Articles similaires
Commentaires (2)
Laisser un commentaire
Merci. Avec Pascal Rogard superbe et inlassable défenseur de la création et des auteurs, tout s’éclaire, tout devient limpide. Restez-nous longtemps!
Merci Gilles et bravo pour le dernier livre dictionnaire amoureux du festival de Cannes