La proie pour l’ombre
21 janvier 2019 par Pascal Rogard - audiovisuel
La crise actuelle qui secoue le pays est pour l'essentiel une demande de justice sociale, d'égalité et de prise en compte des difficultés sérieuses et réelles des Français qui vivent souvent mal sur des territoires éloignés des centres de pouvoir et sont souvent victimes de mesures qui ignorent la réalité de leurs conditions de vie.
Sur la culture dont il faut reconnaitre qu'elle n'est pas au cœur des préoccupations, c'est sans doute un meilleur et égal accès de tous qui est revendiqué.
Pour des raisons qui sous le vernis d'un modernisme numérique cachent en réalité des motivations strictement budgétaires le gouvernement a décidé de rayer d'un trait de plume en septembre 2020 deux chaines de France télévision France 4 et France O et de les remplacer par une plate-forme numérique dont le lancement est prévu à l'automne 2019.
Tout devrait donc aller vite et les programmes jeunesse qui s'étaient installés avec succès sur France 4 seront priés de rejoindre la cohorte numérique dont il faut rappeler qu'elle n'est ni gratuite ni accessible à tous sur l'ensemble du territoire .
C'est donc comme l'avait souligné Xavier Bertrand président de la Région Hauts-De-France dès l'été 2018 une accentuation de la fracture numérique " d’autant plus insupportable qu’elle toucherait des enfants et des familles isolées sur notre territoire ou à faibles moyens financiers !".
Et il ajoutait :"Le gouvernement confond visiblement enfance et adolescence. Que les ados et les préados aient le réflexe de l’ordinateur ou de la tablette, c’est une chose. Mais que les enfants, dès leur plus jeune âge, soient devant un ordinateur ou une tablette pour regarder un programme jeunesse, cela me révolte. Il sera bien temps ensuite de faire le maximum pour lutter contre les addictions…"
Quelle effrayante idée d'obliger les plus jeunes d'aller sur le terrain déjà conquis par les GAFA pour regarder les programmes qui leur sont destinés alors même que les études des comportements montrent qu'encore aujourd'hui le temps consacré par les enfants aux programmes audiovisuels l'est massivement pour les émissions diffusées en linéaires.
France télévisions qui a cruellement manqué de détermination et de résistance pour défendre sa chaîne jeunesse - à rebours de tous les grands services publics européens - va être confrontée à un public qui aura pris l'habitude de déserter la télévision traditionnelle et sans doute n'y reviendra pas .
Le service public de la télévision trouvera peut-être audience et réconfort auprès des plus agés qui apprécient ses programmes mais il aura perdu le contact avec les forces les plus vives de la Nation. Drôle de perspective pour FTV qui cherche à tout prix à rajeunir son audience .
Pour les français ce rétrécissement de l'accès au service public est franchement intolérable et on ne peut que souhaiter que le ministre Franck Riester qui outre sa parfaite connaissance des dossiers audiovisuels est aussi un élu de terrain réexamine les paramètres d'une décision malheureuse autant qu'improvisée .
Dans cette affaire il importe de donner du temps au temps et de ne pas confondre vitesse et précipitation.
Comme l'ont notamment recommandé les sages du Sénat, il est urgent de décider d'un moratoire de la suppression des chaînes tout en lançant la plateforme numérique.
Il sera alors temps dans une République moderne d' évaluer sereinement les résultats de ce déploiement et d'en mesurer l'utilisation effective. Avant d'enterrer deux chaînes du service public disponibles gratuitement (rappelons que l'accès à internet est payant) et accessibles sur tout le territoire, cela devrait être la moindre des choses .
Ne lâchons pas surtout quand il s'agit de notre jeunesse la proie pour l'ombre.
PS Ne manquez pas de regarder la vidéo humoristique sur cette lamentable décision. https://www.youtube.com/watch?v=7n5ULKP0m6U
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