L’illusionniste
23 septembre 2019 par Pascal Rogard - audiovisuel
Tout comme l’assassin revient toujours sur les lieux de son crime, Gérald Darmanin, ministre de l’action des comptes publics, semble vouer à l’audiovisuel public un intérêt qui ne se dément pas et lui réserver des incursions toujours saignantes et frappées du coin de la démagogie fiscale.
Après avoir voulu supprimer purement et simplement la redevance audiovisuelle voici quelques mois (https://www.sacd.fr/non-a-la-suppression-de-la-redevance-audiovisuelle ), il vient d’annoncer la baisse d’1 € de la contribution à l’audiovisuel public dans le cadre de la loi de finances pour 2020.
Nul ne sait ce qu’en pensera l’électeur tourquennois à l’heure des municipales, mais ce « cadeau » de près de 30 millions d’€ qui ne sera l’accélérateur d’aucun pouvoir d’achat a tout de la provocation à l’heure de la réforme de l’audiovisuel public et de la suppression de France 4.
Car, il semble bien que le gouvernement ait l’intention de s’entêter dans une erreur historique, contre toute raison, contre tous les exemples à l’étranger et au risque d’affaiblir encore davantage la situation d’auteurs déjà très précarisés (https://www.sacd.fr/precarite-et-incertitudes-des-scenaristes-de-lanimation-televisee-francaise ), et de déstabiliser l’offre jeunesse de France Télévisions qui aura 9 mois pour s’imposer sur le numérique face aux ogres Netflix et demain, Disney+, sans pouvoir compter sur la complémentarité et la force de son offre linéaire.
On marche en effet sur la tête tant cette décision va même contre les usages dominants des enfants qui, s’ils sont de plus en plus connectés, n’ont pas abandonné l’écran de télévision pour autant : selon les données de Médiamétrie, 78% du temps de vidéo des enfants est consacré à la télévision linéaire, reléguant encore loin la consommation délinéarisée (22%). La chaîne France 4 est regardée par 1 million des 4-14 ans tous les jours, 3 millions chaque semaine et 5 millions chaque mois…
Au-delà de l’impact négatif pour les auteurs et l’ensemble du secteur d’animation, cette décision aura aussi des conséquences sonnantes et trébuchantes pour les français. C’est d’ailleurs là où le tour du prestidigitateur de Bercy ne manque pas de sel : d’un côté, je rends très généreusement 1 € (soit 0,08 centimes par mois…), d’un autre côté, je demande aux parents qui veulent faire bénéficier leurs enfants d’un accès aux offres et aux programmes jeunesse de France Télévisions de prendre un abonnement à Internet à 20, 30 ou 40€ par mois. Chapeau l’artiste !
Les faits sont têtus : aujourd’hui encore, pour 22% de la population, la TNT reste l’unique mode de réception de la télévision. Que va-t-on dire aux parents qui habitent dans les zones encore blanches et dans cette diagonale française du vide où le haut-débit et le très haut-débit sont un espoir lointain et non une réalité ? Va-t-on continuer cette hypocrisie à vouloir développer des maisons de service public en affaiblissant en même temps l’accès au service public de l’audiovisuel ? Que va-t-on expliquer aux foyers qui ne s’en sortent pas financièrement et qui n’auront pas les moyens de payer un forfait mensuel d’abonnement à Internet ? Où est l’égalité fiscale quand on vous demande de payer la redevance en vous supprimant l’accès gratuit à l’une des composantes de l’audiovisuel public ?
Alors qu’on a moins besoin d’un Robert Houdin et d'un illusionniste à Bercy que d’une réforme de l’audiovisuel public qui ne sacrifie pas la création française et les auteurs d'animation (gardons en mémoire que G.Darmanin a tout fait pour éviter la compensation au bénéfice des auteurs de la hausse de la CSG) et qui renforce l’égal accès de tous les français au service public de l’audiovisuel, on n’en voit malheureusement pas la trace.
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Commentaires (2)
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La vision profonde de Darmanin est de faire du service public télévisuel une télé profit à la Berlusconi ! Une télé poubelle, abreuvée de pubs, qui est la négation du « 8ème art ».
Belle analyse, merci !