Un mauvais coup de théâtre
30 octobre 2019 par Pascal Rogard - Spectacle vivant
Ce ne fut pas un coup de théâtre mais plutôt un coup de Jarnac dont le théâtre privé a été l’injuste victime lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 à l’Assemblée nationale. Au nom de la lutte contre les petites taxes, le rapporteur général, Joel Giraud, a fait voter un amendement qui supprime purement et simplement la taxe qui vient financer l’association pour le soutien au théâtre privé.
Une chose est sûre : cette mesure ne remportera pas le prix de la décision concertée car c’est de nulle part que cette initiative est sortie, en plein débat parlementaire, sans le début d’une concertation ou d’une discussion avec les professionnels du théâtre.
C’est assurément une mauvaise politique que de préférer la brutalité de la décision venue d’en haut à la concertation avec les professionnels, encore plus quand ceux-ci ont fait le choix de la mutualisation et de la responsabilisation via une taxe sectorielle plutôt qu’en ayant recours aux seules subventions publiques.
C’est pourtant le chemin que l’Assemblée nationale propose à l’ASTP : renoncer à la taxe qui rapportait 6,5 millions d’€ au profit d’une subvention annuelle du ministère de la culture à hauteur de 8 millions d’€ pour assurer le financement de l’association et des outils qu’il met en œuvre au profit de ses membres.
Il est assez rare que l’Etat propose de compenser au-delà même du préjudice et de la perte de ressources pour le souligner…et s’en inquiéter.
Car, dans ces heures de disette budgétaire, cette apparente générosité étonne et surprend, et pourrait malheureusement et rapidement rejoindre la liste des engagements budgétaires, aussi sonnants et trébuchants, que non tenus.
Ce mouvement étonne aussi dans la mesure où les acteurs privés du théâtre seraient ainsi amenés à dépendre fortement de l’Etat et des pouvoirs publics pour le financement de leurs mécanismes de soutien. Comme les opérateurs du théâtre public…
En perdre son latin peut parfois avoir son charme mais pour l’occasion, cette politique, dont on ne sait si c’est Gribouille ou Tartuffe qui l’a inspiré, n’est vraiment pas à la hauteur des défis et des enjeux que recouvre le théâtre privé.
Est-ce que cela veut dire que tout doit être immuable et ne pas évoluer ? Assurément, non, le monde bouge, le théâtre privé lui-même vit actuellement une profonde mutation avec l’arrivée de nouveaux investisseurs et propriétaires, les pouvoirs publics tendent à rationaliser et à ordonner leurs politiques de soutien, notamment dans le spectacle vivant.
Le théâtre privé, si important pour les auteurs, ne vit pas hors de ce monde. L’organisation de son soutien et le fonctionnement de l’association peuvent encore évoluer pour s’adapter aux temps actuels et renforcer encore la logique de solidarité et de mutualisation qui la sous-tend. Mais, cela ne devra se faire qu’en se donnant le temps d’une large concertation et en prenant en compte la spécificité de ce théâtre et de son économie Franck Riester, le ministre de la Culture, a montré, avec le projet de loi audiovisuel, qu’il savait être à l’écoute , quitte à modifier et enrichir son texte en cours de route.
En recevant hier les directeurs de théâtres privés, il a envoyé un signal positif qui laisse à penser que l’heure est réellement à la concertation autour de la volonté partagée de mieux soutenir le théâtre privé dans toute sa diversité. C’est une bonne chose qui nous ramène vers une règle essentielle en théâtre : c’est en général après avoir vu le dernier acte qu’on peut savoir si la pièce est bonne ou non.
Continuez votre lecture avec
- Article suivant : Trompe l’oeil
- Article précédent : Fiscalité des auteurs :la politique du pire ?