Le cri du cormoran le soir au dessus des jonques
22 juin 2020 par Pascal Rogard - Weblog
Mise en pièces, éparpillée façon puzzle, dispersée...A lire la presse ces jours-ci, le projet de loi sur la communication audiovisuelle aurait tout pour être au cœur d’un scénario du regretté Michel Audiard.
Malgré cet hommage, bienvenu en ce jour de réouverture des salles de cinéma au dialoguiste et scénariste de talent, point de Frères Volfoni ni de gugusse de Montauban dans notre histoire !
Si l’on y regarde de plus près, avec un œil objectif, il faut sans doute distinguer le contenant qu’était le projet de loi de son contenu et des très nombreuses dispositions qu’il contenait.
Tel qu’on l’a connu, à la suite de son examen en Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, la messe est dite. Le projet de loi est mort, Vive le projet de loi ! Car il pourrait bien renaître de ses cendres dans des formes bien différentes, dans des décrets quand c’est possible ou dans d’autres lois pour aller vite.
Les puristes ou les lobbyistes qui avaient affuté leurs arguments les plus pertinents regretteront un rendez-vous manqué. On peut les rejoindre tant, après plusieurs années d’attente, un débat parlementaire minutieux et nourri, avec beaucoup de députés et de sénateurs qui ont réfléchi, auditionné et travaillé sérieusement, aurait pu enrichir et consacrer cette nouvelle politique audiovisuelle.
Mais, le danger le plus immédiat est aujourd’hui d’éviter que toutes les avancées que ce projet de loi contenait ne soient repoussées aux calendes grecques. Fort heureusement, les pouvoirs publics et Franck Riester semblent s’être replongés dans les maximes du poète Publilius Syrus qui, dans l’an Ier avant JC, constatait avec justesse : « L’occasion perdue vient sans être attendue, mais qui la perd l’a pour longtemps perdue. » Ils ont raison.
On se félicitera donc évidemment de l’intégration d’un article permettant au Gouvernement de transposer par ordonnance la directive sur les services de médias audiovisuel dans le cadre du projet de loi DDADUE (Diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière). Il y avait urgence à ce que cette directive devienne une réalité tangible dans notre pays. Non seulement, le président de la République avait pris lui-même l’engagement de son application au 1er janvier 2021. Mais, n’oublions pas non plus surtout sa portée si essentielle aujourd’hui, encore plus dans ce paysage post-crise du Covid-19 : la non-transposition de cette directive rendrait impossible de fixer des obligations d’investissement dans la création audiovisuelle patrimoniale et cinématographique à l’ensemble des plateformes et services de vidéo à la demande qui ont fortement bénéficié de la crise sanitaire.
Mais, il est tout aussi urgent de transposer les autres directives européennes sur le droit d’auteur et sur le câble et le satellite, et de les intégrer à cette si exotique loi DDADUE, tout en y associant étroitement les parlementaires. Elles sont des éléments indispensables pour sécuriser et renforcer les droits des créateurs et répondre au défi du partage de la valeur. Ces textes européens portent en eux des nouveaux droits pour les artistes et les créateurs et des nouvelles garanties pour négocier de justes rémunérations, à l’égard des plateformes numériques comme des opérateurs traditionnels. Le vote de la directive droit d'auteur a été acquis de haute lutte après une campagne insensée et dispendieuse des GAFA. Sa transposition rapide est une ardente nécessité.
Pour nous éloigner de la loi sur audiovisuel sans quitter le terrain des médias, disons-le tout net : le temps serait aussi venu d’annoncer la suppression de la suppression de France 4. Là aussi, il y a urgence à ce qu’à moins de 50 jours de la fermeture éventuelle de la chaîne, une décision claire et définitive soit prise. Le silence actuel n’est ni tenable ni sérieux à l’égard d’une chaîne dont au moins 100 arguments pourraient justifier le maintien. Retenons surtout aujourd’hui, à l’heure où tous les enfants sont censés reprendre le chemin des écoles, qu’elle est une réponse au défi de la fracture numérique, terrible réalité encore trop présente dans notre pays, et qui ne disparaîtra pas demain matin.
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. C’est bien dans ce cadre que doit se redéployer la politique audiovisuelle de la France, en sachant prendre les mesures adéquates pour engranger les succès obtenus en Europe, pour soutenir les diffuseurs, publics comme privés, pour renforcer les ressources du CNC, pour lutter contre la piraterie et naturellement pour défendre les droits des auteurs. Les objectifs ne sont pas seulement ambitieux, ils sont surtout plus que jamais vitaux !
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