Chronologie des médias :le bunker de la dernière rafale
29 septembre 2022 par Pascal Rogard - Cinéma
Ce n’est pas tous les jours que les dirigeants de TF1, France Télévisions et M6 prennent leurs plus belles plumes pour écrire une tribune de concert.
Ce genre d’initiatives peut donner le meilleur : la convergence de vues entre Delphine Ernotte, Gilles Pélisson et Nicolas de Tavernost sur la nécessité de consolider le paysage audiovisuel français avec un acteur privé puissant, qui aurait résulté de la fusion Tf1-M6 faisait partie de ces alliances intelligentes et bienvenues.
Malheureusement, l’Autorité de la Concurrence, plus soucieuse de vouloir préserver les marges publicitaires de Procter&Gamble et de Coca-Cola dans cette affaire qu’à créer les conditions de l’émergence d’un groupe audiovisuel français apte à affronter les nouvelles concurrences, n’a pas su se hisser à la hauteur de ses missions.
Elle a échoué se défaire d’une vision figée, datée et conservatrice d’un paysage audiovisuel qui ne l’a pas attendu pour évoluer.
Mais, les initiatives communes peuvent aussi réserver du moins bon. En l’occurrence, s’aventurant sur les routes marécageuses de la chronologie des médias au détour d’une tribune dans le Monde (https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/28/nous-responsables-de-televisions-gratuites-demandons-aux-pouvoirs-publics-de-ne-pas-ce-der-au-diktat-des-plates-formes-payantes_6143477_3232.html), les présidents des 3 groupes font fausse route.
Non, l’accord de janvier 2022 n’a pas particulièrement favorisé les plates-formes payantes américaines !
Il a seulement rétabli un principe historique qui voulait que les fenêtres payantes soient positionnées avant les fenêtres gratuites principe dont nous demandions au coté de Jerôme Seydoux premier exploitant de France le rétablissement.
Ne pas leur accorder cet avancement de fenêtre aurait été inconcevable alors que l’évolution de la régulation audiovisuelle a désormais soumis ces nouveaux services, qui paient par ailleurs une TVA à 20%, à des obligations d’investissement dans le cinéma qui sont en pourcentage plus élevées que celles des chaînes gratuites. On peut même considérer que le sort de ces plateformes n’est pas si enviable que cela puisque les professionnels qui ont signé cet accord se sont allégrement assis au passage sur la neutralité technologique au détriment de la SVOD.
Un exemple suffit pour mesurer la supercherie : OCS la filiale d'Orange en tant que chaîne de Tv payante qui investira 20 millions d’€ dans le cinéma en ayant réduit son engagement de moitié a obtenu de pouvoir bénéficier d’une fenêtre avancée à 6 mois alors que Netflix, dont l’investissement s’élèvera à 40 millions d’€ au titre de ses engagements avec ces mêmes professionnels, ne pourra diffuser un film avant 15 mois. Comprenne qui pourra !
Dans leur tribune, les dirigeants des chaînes dénoncent le comportement de Disney accusé de faire du chantage en menaçant de retirer leurs films des salles de cinéma.
La torsion de bras est une discipline qui a souvent été utilisée dans les dernières lignes droites de ces négociations labyrinthiques autour de la chronologie des médias mais dont personne ne se plaignait publiquement jusqu’alors, quand les maîtres chanteurs étaient davantage français.
Découvrir aujourd’hui que Disney peut prendre la décision de ne pas sortir ses films en salles, 8 mois après la signature de l’accord, est tout de même étonnant.
Ce n’est pas faute pourtant pour la SACD de l’avoir dit et répété à voix haute quand nous avons décidé de ne pas signer au regard des risques que cette nouvelle chronologie faisait peser sur la fréquentation en salles en appauvrissant son alimentation en films porteurs .
Au-delà des logiques "marketing" qui peuvent pousser une plateforme à réserver un film majeur à ses abonnés pour rendre son service plus attractif que la concurrence, il est évident que les règles réservées aux plateformes et notamment le délai trop long après la salle et les couloirs d’exclusivité très courts qui leur sont octroyés sont un repoussoir complet .
La tribune aurait aussi mérité d’être complétée pour aller au bout de l’exercice de transparence et de vérité et éviter qu’une fois de plus, les mânes de l’exception culturelle ne soient invoqués improprement.
Car, doit-on considérer que le problème de TF1, de M6 et de France Télévisions, en l’occurrence leur difficulté à avoir accès aux droits des films Marvel et des plus grosses productions américaines de Disney, met en cause l’exception culturelle ?
Est-ce qu’on s’est vraiment battus au nom de l’exception culturelle pour obtenir des créneaux sur les antennes de télévisions afin d’assurer la pleine visibilité des films les plus chers des grands studios américains ?
La chronologie des médias fait décidément tourner bien des têtes, brouillant des repères utiles et nous éloignant fréquemment des vrais combats pour soutenir la diversité de la création, l’attractivité du cinéma et le dynamisme de celles et ceux qui financent le cinéma français parmi lesquelles les chaînes gratuites sont évidemment un maillon essentiel.
En additionnant les intérêts particuliers, on ne peut pas dire qu’elle rejoint l’intérêt général.
Ce n’est pas de changement de virgules, ni de petits arrangements discrets dont les professionnels sont trop souvent coutumiers, ni de rafistolages précipités dont la chronologie a besoin mais d’une refonte complète.
Parce que « qui trop embrasse mal étreint », le temps est venu d’en revenir à l’objectif initial de la chronologie des médias qui est de protéger les salles de cinéma et de prévoir une protection spécifique.
Pour le reste, il faudra profondément la réformer à la lueur d’un paysage audiovisuel devenu beaucoup plus complexe et fluide, d’un monde qui a fait exploser toutes ses frontières, linéaire/non linéaire, payant/gratuit et face auquel les règles hermétiques et préhistoriques que les professionnels ont établi sont aussi utiles que l’était la planification dans l'ex URSS. A suivre…
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Commentaires (1)
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Enfin la vision d’un professionnel plus nuancé que seulement « oh la la, les méchantes plateforme et le méchant disney, ils veulent détruire le cinéma francais ».
Étant seulement un consommateur et non un acteur je l’admets volontier : je n’ai aucun repère quand à l’utilité exacte de la chronologie de nos jours. Mais j’arrive à comprendre les enjeux représenté par celle-ci.
Cependant je me demandais, les groupes dirigeants les chaînes gratuites n’avaient-elles vraiment pas saisie qu’une plateforme (ici prenons Disney) dont la maison mère produit les films pourrait avoir le droit de sortir ou non un film en salle, lésant plutôt et le spectateur et les exploitants au profit justement de leurs plateforme (ce qui me semble logique) ?
Car si nous ne sommes pas le seul pays avec une chronologie, j’ai l’impression que nous sommes le seul à en posséder une aussi contraignante et peu attractive.
Le coup de semonce lancé par Disney au sujet de ses films n’est certes pas rassurant mais peut-être fera-t-il bouger les choses car en temps que simple spectateur je suis plutôt tenté de me dire par exemple « eh bien Black panther 2 est film appartenant à Disney, ils ont bien le droit d’en faire ce qu’ils veulent ».
Je vous remercie en tout cas pour ce billet qui change du discours habituel des médias prônant que « les plateformes américaines sont vils » et qui permettent d’y voir un peu plus clair avec des précisions souvent oubliée.