Winter is coming
26 septembre 2024 par Pascal Rogard - audiovisuel, Cinéma, diversité culturelle
Après 10 années marquées par un mouvement fort de régulation du numérique en Europe, en faveur notamment du droit d’auteur et de la création, un vent contraire n’est-il pas en train de se lever à Bruxelles ?
Le doute est malheureusement permis, et le retrait de Thierry Breton de la nouvelle Commission européenne qui va se mettre en place dans les mois prochains n’est pas l’un des signaux les plus rassurants, ni pour l’influence française ni pour les orientations politiques de l’exécutif européen.
Le départ de celui qui symbolisait une exigence européenne en matière de d’encadrement des géants du numérique et qui a su monter au créneau, avec les députés européens, pour défendre le droit d’auteur dans l’univers de l’IA, se conjugue d’ailleurs avec le retour en force de ce qui ressemble à un mot d’ordre : haro sur la régulation !
La régulation, et en particulier celle sur le droit d’auteur, a évidemment le dos large et fait figure d’excuse bien commode pour justifier les turpitudes des uns et les erreurs des autres. Il n’empêche, la mélodie des complaintes fait son grand retour en ce début de législature européenne.
Deux initiatives rendues publiques consécutivement trouvent leur place dans ce chœur vibrant : d’une part, une lettre ouverte signée par une trentaine d’entreprises européennes et américaines (Spotify, Publicis, Meta, Ericsson, Prada, Pirelli…) et s’adressant aux responsables européens a appelé l’Europe à « clarifier » son cadre réglementaire sur l’IA .
la clarification s’apparentant là plus à une entreprise de déconstruction que de doux ripolinage ; d’autre part, le lendemain, on pouvait prendre connaissance d’une note de la DG Concurrence qui insistait lourdement sur le coût très élevé des accords de licence avec les ayants droits, en particulier pour les start-ups, afin d’entraîner les IA. https://competition-policy.ec.europa.eu/document/download/c86d461f-062e-4dde-a662-15228d6ca385_en
On nous dira, pour la première, qu’elle visait surtout les règles du RGPD et pour le seconde, qu’il s’agissait d’un document technique mais ces deux démarches, parfaitement convergentes, installent un climat qui laisse peu de places à l’ambigüité : il faudrait finalement laisser les entreprises d’IA piocher librement dans les données européennes et en bon français les voler pour entrainer leurs services, faute de quoi l’Europe ratera le virage de l’IA et de son potentiel économique et de croissance et entravera le développement de ses start-ups.
Dans un monde peu enclin à cultiver l’esprit de nuance et l’art de la dialectique, la conclusion parait séduisante.
Sauf qu’elle est fausse, archi fausse.
Sauf qu’elle oublie volontairement de rappeler que les problèmes rencontrés par les start-ups tiennent bien plus à l’insuffisance du capital-risque en Europe ou à une coordination inadaptée du soutien financier de l’Europe qu’à l’ampleur de sa régulation.
Sauf qu’elle est prête à passer par pertes et profits les secteurs créatifs, culturels et de l'information, la vraie celle qui est vérifiée par des journalistes qui créent de la valeur et de la richesse de l’Europe et qui doivent continuer à en produire dans le monde de l’IA.
Sauf qu’elle renonce à un idéal démocratique qui gagnerait à rester présent au cœur de l’Europe.
Sauf qu’elle néglige que les accords de droit d’auteur autorisant l’exploitation des œuvres audiovisuelles et cinématographiques, étant basés sur un % du chiffre d’affaires des opérateurs, n’ont pas pour effet de déstabiliser les acteurs économiques, aussi émergents soient-ils….
Dans ce nouveau contexte et face à ce rappel brutal que rien n’est jamais définitivement acquis, le pire serait de céder à l’esprit de résignation et de renoncement alors même qu’il faut se battre, collectivement, pour que l’agenda politique européen des années à venir ne nous conduise pas à une impasse dévastatrice pour la création européenne et la diversité culturelle.
C’est le travail qu’il faudra engager, à Paris comme à Bruxelles, pour que les règlements et directives, celui sur l’IA bien sûr mais aussi plus largement celles sur le droit d’auteur ou sur les services de médias audiovisuels ne soient pas victimes d’un gigantesque bond en arrière.
Elles ont, elles aussi, acté des avancées considérables en consacrant le principe d’un droit à rémunération proportionnelle pour les auteurs et en mettant à la charge des plateformes des obligations de financement de la création. L’ensemble de l’édifice européen de régulation qui a inscrit sur son fronton le principe de responsabilité des acteurs du numérique à l’égard de la création, du droit d’auteur et de la diversité culturelle, ne doit pas vaciller.
L’hiver revient peut-être mais faisons tout pour éloigner de l’Europe les marcheurs blancs !
Non pas en construisant des murs mais en créant les conditions d'une collaboration constructive avec les entreprises qui ont compris que leur sécurité juridique reposait sur la transparence et le dialogue.
Commentaires (1)
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Merci Pascal pour cette synthèse éloquente de la situation. Les équilibres, fragiles, précaires, entre création et business constituent un enjeu central et permanent. Dans un monde dont le numérique est souvent vecteur de bipolarisation primaire, et manichéenne entre deux visions du monde. Aujourd’hui, la tendance est au pour ou contre l’intelligence artificielle générative, les auteurs 100 les auteurs sont invités souvent à se positionner. L’Utiliser ou pas, avec derrière, le chantage potentiel du déclassement. d’une manière ou d’une autre, nous devrons faire payer les « voleurs ».