Dura lex sed lex

15 avril 2025 par - économie numérique

Vous ne connaissez pas Chris Lehane ? Le Vice-Président Global Affairs d’Open AI est pourtant un homme prolixe, à la conscience aigüe des intérêts de son entreprise et qui n’est pas avare de bons conseils pour les politiques qui veulent bien l’écouter.

Le 1er acte a eu lieu aux USA le 13 mars dernier dans une contribution au trumpisme triomphant adressée à l’administration américaine .

Surfant sur la vague des jérémiades du président Trump contre ces horribles pays qui, notamment en Europe, dressent des barrières non-tarifaires hostiles aux entreprises américaines, Open AI manie la complainte et l’attaque.

D’un côté, Chris Lehane se plaint des pratiques de DeepSeek, convaincu que des données protégées par le droit d’auteur ont été utilisées sans autorisation pour entrainer leur service alors que dans le même temps, les américains s’imposent à eux-même des limites qui risquent de  « leur faire perdre la course à l’IA ».

De l’autre, passé le stade de la victimisation, l’attaque est frontale et tous azimuts : le « fair use » aux USA devrait être étendu à l’utilisation des oeuvres dans le cadre de l’entraînement des IA ; les règles rigides du droit d’auteur répriment dangereusement l’innovation (énième tarte à la crème qui s’est répandue de chaque côté de l’Atlantique) ; Le gouvernement US devrait intervenir dans les discussions internationales sur le droit d’auteur et l’IA pour éviter que les entreprises US ne soient soumises à des réglementations contraignantes ; il serait urgent de mettre sous surveillance les débats dans les pays qui pourraient fragiliser le développement des entreprises US d’IA.

Quasiment, un mois plus tard, le même Chris Lehane, accompagné cette fois de son compère en charge des affaires publiques en Europe, Sandro Gianella, a scellé le second acte en prenant sa plume pour se fendre d’une adresse aux autorités européennes.

Le ton est doucereux, la volonté de contribuer à la prospérité et même au bonheur de nos enfants omni-présente mais ne s’éloigne jamais vraiment de la bienveillance que les shérifs du XIXe pouvaient avoir dans le Far West pour les autochtones de la région.

Les 21 pages de la contribution d’Open AI destinées à nous amener sur les routes du bonheur de l’IA souffrent néanmoins de quelques oublis fâcheux. Et naturellement du droit d’auteur, perpétuellement contourné dans ce papier.

OpenAI souligne l’importance d’un cadre européen qui permette l’accès aux données nécessaires à l’entraînement des modèles d’IA, tout en respectant « la vie privée, la protection des données et la sécurité ». Et le droit d’auteur ? Oublié.

Open AI veut veiller à ce que l'IA soit développé de manière responsable et reflète les valeurs européennes. Lesquelles ? La protection des enfants, la liberté de choix et la responsabilisation des publics. Et le droit d’auteur en tant que valeur européenne ? Oublié.

Open AI veut un IA Act simplifié, débarrassé de tout ce qui freine l’innovation.

Dommage de ne pas avoir précisé exactement ce qui freinait. A la lecture du Chris Lehane du mois de mars, on aurait pu facilement en conclure que le respect du droit d’auteur en faisait partie.

On peut d’autant plus facilement en arriver à cette conclusion depuis le dévoilement de la dernière version de ChatGPT qui permet de réaliser des images inspirées du Studio Ghibli, le tout avec une justification qui mériterait l’attribution du Prix Humour de la SACD au porte-parole anonyme d’Open Ai qui a déclaré à l’AFP : « Nous empêchons la création de contenu inspiré spécifiquement d’artistes vivants, mais nous le permettons pour le style d’un studio, qui est plus large.» (https://www.liberation.fr/culture/intelligence-artificielle-open-ai-copie-ghibli-sans-laccord-de-miyazaki-20250328_VDYH55T3JVGENIDJ2MI7UQH7HI/ )

 Mais, à l’heure où le moissonnage des données revendiqué par les services d’IA devient un pillage industriel des œuvres et de notre culture, sans consentement, sans transparence, sans rémunération, l’humour même en version noire n’est malheureusement plus de mise.

Dans un monde où le président Trump et son vice président J.D. Vance veulent déconstruire l’Europe, l’affaiblir, abîmer ses réglementations et en faire le terrain de jeu sans aucune règle des entreprises américaines, il n’est pas inutile de remettre l’église au cœur du village et de rappeler à Open AI ce qu’est l’Europe : une terre de création, un espace vivant où la créativité humaine est protégée, une région du monde qui a vu naître le droit d’auteur, un droit d’auteur qui a toujours su s’adapter aux évolutions et aux révolutions technologiques sans jamais entraver la moindre innovation mais au contraire en y apportant sécurité juridique et partage de la valeur.

L’Europe n’est pas une colonie numérique, comme le dénonce souvent à juste titre la sénatrice Catherine Morin-Desailly.

C’est au contraire un espace ouvert et tolérant dans lequel Open AI sera le bienvenu, pour peu qu’il y respecte nos règles et qu’il ne s’y essuie pas les pieds sur le droit des auteurs et les régulations qui protègent nos libertés.

Dura Lex, sed lex ! »

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Commentaires (2)

 

  1. OLLAGNIER dit :

    En effet l’IA pose « dramatically » la question des droits d’auteur. Les actions conjuguées de la SACD et d’autres organisations comme IDFRights avec Jean-Marie Cavada tentent d’endiguer la vague ultra-libérale nuisible au droit d’auteur. Le combat pour la préservation du droit d’auteur participe d’un combat plus large pour la liberté régulée et pour nos principes républicains. La régulation ne signifie pas l’interdiction, mais bien plus l’acceptation de règles propres à garantir l’exercice de la liberté. Cela gouverne le droit d’auteur : le droit d’utiliser une œuvre originale est soumis à une redevance. Le point de vue d’Open IA correspond à un esprit général américain qui considère autrement que nous le droit d’auteur. Est-ce négociable ? En partie oui, par exemple sur les œuvres numériques dispersées par les auteurs eux-mêmes. L’IA constitue une innovation irréductible, il va falloir faire avec ! À vous et à nous de trouver les meilleures voies tant de préservation des droits que d’innovation; Au CLIC (Collectif Liberté Information Communication) nous sommes mobilisés sur ce sujet.

  2. Merci, Pascal, de sans cesse remettre cette église au milieu du village. Indispensable !

    Mais si l’AI Act est bien entendu décrié par les cow-boys de Trump – et pas seulement eux –, nous savons tous que ces régulations, bien que « mieux que rien », se heurtent à des problèmes concrets fondamentaux.

    Dans la pratique, entre opacité technologique et complexité, mettre en œuvre un opt-out sur le travail d’une carrière est tout simplement impossible ou inefficace pour le moment.

    Le temps passe, vite, très vite. Les performances augmentent. Seul un refus par conviction permet de ne pas mettre le doigt dans l’engrenage des seules IA génératives qui fonctionnent – justement parce qu’elles ont été goulûment nourries de propriété intellectuelle. Mettre le doigt, c’est parfois juste pour vérifier si cela marche aussi bien qu’on veut nous le faire croire…

    Netflix France aurait indiqué prendre ses distances avec les projets dopés aux IA génératives, sous prétexte que « c’est moche » (?) – info non confirmée. Mais jusqu’à quand ? Chaque semaine, les améliorations sur la génération d’images, de mouvements et d’animations deviennent plus impressionnantes. L’absence de contrôle tant dénoncée par les professionnels s’estompe. La propagation dans la production se fait plus lente que ne le voudraient les startups et les big techs, certes, mais…

    Existe-t-il un point de non-retour ? Le moment où plus aucun public ne fera la différence entre le vrai et le faux, entre le « moche » et le beau ? Aujourd’hui déjà, il devient difficile de distinguer une création originale et le « régurgité ».

    Pendant ce temps, James Cameron prend acte de pouvoir baisser les coûts sans toucher au territoire du créateur. Des auteurs historiques siègent dans des jurys de festivals « full IA générative » ! Alors qu’aucun modèle actuel ne peut fonctionner sans profiter du pillage déjà consommé. N’est-ce pas trahir le concept si cher à Beaumarchais ? Comment défendre nos valeurs face à cette pression si forte d’utiliser des logiciels nourris de rapines ? À part trouver des excuses alambiquées, qui flirtent toujours, au minimum, avec ce « fair use » que voudraient nous faire avaler les big techs… Affirmer les valeurs de notre maison est une chose, mais quiconque utilise une IAG ne peut pas le faire sans contradiction. C’est, nous le savons, l’ADN de cette technologie.

    Qui dictera les règles transformant l’emprunt à un « studio » en « contrefaçon avérée », alors que le droit semble loin d’être aussi catégorique ? Il n’a pas prévu l’industrialisation de « l’inspiration », seulement celle de la copie. Pour l’heure, le droit d’auteur – aussi précieux et défendu soit-il – est bafoué par des millions de clics par seconde, pour produire des starter packs avec la bénédiction d’« auteurs » plus ou moins anonymes, qui envoient leurs images aux serveurs d’Altman. Comment réguler, alors que nous sommes obligés d’exister en ligne pour exister tout court ? (Du moins pour les auteurs visuels…) et continuer de nourrir la bête …

    Nous guettons la frontière. Celle qui laisserait passer la résignation et devoir nager dans cette mer agitée, ou plutôt cette soupe de pixels saumâtre, à force de produire du « même », à la manière de…

    Merci à la SACD de ne rien lâcher.

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