Jedi et Cro-Magnons
24 septembre 2014 par Pascal Rogard - audiovisuel
L'incapacité des professionnels du cinéma à modifier une chronologie des médias inadaptée à l'évolution des usages numériques démontre qu'il ne faut jamais confier à des corporations le pouvoir de fixer des règles qui concernent l'intérêt général.
Et ce d'autant plus que ces corporations sont divisées , incapables de penser l'avenir et sans quiconque susceptible d'exercer un véritable leadership.
Depuis le funeste accord du 6 juillet 2009 et son extension prévue par la loi " Création et Internet ", aucune mesure de modernisation n'a été possible en dépit des efforts du CNC car les corporations attachées à la défense de leurs intérêts particuliers comme une bernique à son rocher ont superbement ignoré les créateurs et le public qui souhaitent le plus large accès possible aux oeuvres.
La régulation de la chronologie est née de la volonté de Jack Lang de protéger l'exploitation en salles d'une diffusion anarchique des oeuvres sous forme de vidéogrammes et de l'inclusion d'une disposition protectrice dans la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
Le délai de protection des salles de cinéma était fixé à un an et bien entendu faisait l'objet de dérogations tenant compte de la carrière des films.
La Cour de justice des communautés européennes saisie d'un contentieux suite au non respect par un distributeur de ces prescriptions l' avait validé par un arrêt Cinéthèque SA compte tenu de son objectif culturel et de la proportionnalité des mesures de restrictions à l'objectif de protection des salles.
Nous étions dans un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaitre, mais où la profession dans son ensemble savait faire preuve de bon sens, de modération et de sens de responsabilité en étroite collaboration avec les pouvoirs publics.
Les règles de diffusion à la télévision étaient également assouplies pour tenir compte de la vie réelle des films en salles et finalement le sujet chronologie n'en était pas un.
Bruxelles et oui encore Bruxelles a fourré dans l'affaire ses gros doigts tachés par la graisse du marché unique en demandant pour les diffusions télévisuelles que le point de départ de la chronologie ne soit plus la sortie du film en France mais dans n'importe quel pays européen .
Cette exigence faisait fi des distorsions créées au bénéfice des films américains qui à l'époque étalaient beaucoup plus dans le temps que maintenant -lutte contre le piratage oblige- leur sorties en salles.
La parade à cette incursion des bruxellois fut pour la télévision et les services à la demande la substitution d'accords professionnels pouvant être étendus au régime de fixation des règles par le gouvernement.
Une coalition hétéroclite d' intérêts particuliers et le souci d'offrir au ministre fraichement nommé Frédéric Mitterrand une couronne de lauriers aboutirent à l'accord de 2009 qui depuis survit à toutes les tentatives de réforme en dépit de son caractère archaîque et disproportionné ,ignorant même les spécificités des documentaires ou des films que les télévisions ont délaissés
La chronologie des médias n'a plus pour enjeu la protection des salles, mais celle des opérateurs audiovisuels et du système de financement des films
2009 pour la diffusion des oeuvres cinématographiques c'est déjà la préhistoire, tellement les technologies ont changé les usages.
Nul doute que Fleur Pellerin ne pourra longtemps cautionner tant de ringardise et qu'elle cherchera à obtenir une modernisation de règles qui sont un boulet pour sa crédibilité sur la scène européenne..
L'avenir de la régulation française ne se jouera pas à Paris dans les cénacles de la rue de Lübeck où 50 personnes font entendre l'aigre musique de violons désaccordés , mais à Bruxelles et Strasbourg où il est impératif de porter haut et fort la voix de la création et d'une régulation adaptée à l'environnement digital.
Une régulation que les géants de l'internet ont échoué à détruire dans le cadre de la négociation commerciale transatlantique mais qu'ils vont chercher à miner de l'intérieur avec comme fidèles alliés les talibans du marché unique qui comptent déjà nombre de soutiens dans une Commission Européenne à peine nommée mais dont certaines expressions sont très inquiétantes pour l'avenir des politiques culturelles.
Ces combats pour les mener mieux vaudra revêtir l'armure des Jedi que la tenue de chasse des hommes de Cro-Magnon.
Continuez votre lecture avec
- Article suivant : Détruire dit-il
- Article précédent : Deuxième souffle
Articles similaires
Commentaires (1)
Laisser un commentaire
Martingale ?
L’on peut se demander s ‘il existe une martingale (ou une équation) pour définir la chronologie idéale et sur quels critères : retour rapide des investissements des préfinanceurs, maximisation de la valeur de marché de l’oeuvre et des revenus des auteurs, protection maximale contre la contrefaçon, intérêt des publics, voire même aménagement du territoire par la survie des salles les plus exposées ? D’un point de vue purement « libéral » il n’y a peut être pas à définir une unique martingale chaque oeuvre étant un cas particulier. D’un point de vue plus « régulationniste » le débat reste à trancher entre accord corporatiste et consensus (?)plus large qui associerait à la discussion des représentants (mais où les trouver) des publics.
Bonne journée.
Lucien véran. Aix Marseille Université.