Un premier pas vers une rémunération européenne des auteurs
20 septembre 2018 par Pascal Rogard - économie numérique
Après un premier rejet, le vote par le Parlement européen à une large majorité de la directive sur le droit d’auteur le 12 septembre dernier est un succès indéniable pour tous ceux qui attendent de l’Europe qu’elle soit au rendez-vous de la défense et de la protection des auteurs. Enfin et ce n'est pas trop tôt, le droit à une rémunération juste et proportionnelle a été inscrit au cœur du projet de directive.
C'est une étape importante mais cet acquis devra être consolidé dans les discussions du trilogue qui réuniront parlementaires, représentants des Etats et ceux de la commission.
L’avancée est réelle pour des auteurs, scénaristes comme réalisateurs, qui à la différence des auteurs et compositeurs de musique peinent à voir remonter des rémunérations quand leurs œuvres sont disponibles sur des plateformes numériques dans des pays où aucun droit à rémunération ne leur est reconnu.
Mais, il est aussi temps de tirer quelques leçons de l’examen de cette directive par le Parlement qui a suscité un lobbying encore jamais vu. Et, en ces temps de rentrée scolaire, il est tentant d’attribuer des bonnes et des mauvaises notes, voire des bonnets d’âne !
Soyons d’abord positifs et saluons l’énergie et la détermination d’un certain nombre de députés européens, notamment français, qui n’ont jamais cessé de défendre un texte qui renforce les droits des auteurs.
La régulation renforcée des plateformes numériques en faveur du droit d’auteur et la garantie de nouveaux droits pour les créateurs doivent beaucoup à l’engagement de Pervenche Bérès, Virginie Rozière, Jean-Marie Cavada, Marc Joulaud . Dans ce combat pour le droit des auteurs, ils ont toujours pu compter aussi sur la détermination et la conviction de Françoise Nyssen, notre ministre de la Culture, du Gouvernement et du Président de la République.
Les professionnels et notamment les cinéastes se sont aussi beaucoup impliqués, encore dernièrement à l’occasion du Festival de Venise, pour rappeler que l’Europe, terre de création culturelle, devait aussi être une terre qui protège et soutient ses créateurs. Merci à eux et à leurs organisations européennes (Fera, FSE et SAA).
En dessous de la moyenne et souvent même très proches du zéro pointé qui guette les cancres , citons d’abord celles et ceux qui, à renforts de millions de dollars convertis en euros, d’agences de communication et de cabinets de lobbying, se sont vautrés dans des campagnes démagogiques de manipulation et de désinformation. Quelques jours après l’adoption de la directive, il faut bien faire le constat que, contrairement aux annonces les plus catastrophistes, non, l’Internet ne mourra pas avec cette directive, non, ce n’est pas une nouvelle dictature qui frappe aux portes de la Vieille Europe (certains régimes politiques européens s’en chargent déjà), non, il ne sera pas interdit de diffuser en masse sur les réseaux ces « mèmes » qui ont occupé tant de discussions.
La coalition brinquebalante des libertaires du Net et des GAFA, qui se reconstitue maintenant systématiquement à chaque débat sur le droit d’auteur depuis la loi du 12 juin 2009 "favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet" en a côtoyé d’autres, tout aussi intrigantes et pour tout dire, décevantes.
Alors que les auteurs sont constamment sollicités pour participer à l’union sacrée avec les producteurs face aux "grands méchants" GAFA, une large partie d’entre eux a passé son temps à essayer de planter des couteaux dans le dos des créateurs européens. La sainte-alliance des studios américains et de nos vieux lobbyistes de la production cinématographique française a frappé à toutes les portes de la Commission, du Parlement et des Etats avec une message simple digne d’une berceuse pour nourrissons : les auteurs européens sont très contents de leur situation, sont très bien payés et sont heureux de la transparence des redditions de compte et des rémunérations versées par leurs bienveillants producteurs !
Les parlementaires n’ont heureusement pas été dupes de ce conte à dormir debout.
Mais, l’histoire en dit long sur plusieurs tendances qui marquent la construction de la politique culturelle en Europe : en premier lieu, la volonté de minimiser voire de nier les droits des auteurs est une préoccupation constante de corporations bien installées.
Le programme de la prochaine conférence organisée par le présidence autrichienne de l’Union européenne pour parler de l’avenir de la création en Europe en est une vibrante caricature : 42 intervenants, le président de la Motion Picture Association of America et…zéro auteur européen ; la prééminence des intérêts américains donc , que ce soit ceux des entreprises technologiques ou des studios de production , qui trouvent toujours des oreilles si attentives dans les instances européennes qu’on peut parfois se demander si l’Europe est réellement indépendante ; enfin, la propension à affabuler, exagérer, mentir, manipuler a été omniprésente tout au long de ces débats.
Si cette dérive peut être aussi liée à des comportements individuels de tel ou tel, atteint de mythomanie inquiétante, d’ hypertrophie du moi ou d’un cynisme qui fait que tous les moyens sont bons, elle est profondément regrettable et définitivement pas à la hauteur des enjeux. Le spectacle donné a été déplorable et nous a privé de réflexions sereines sur ce que l’Europe peut faire pour la création et sur ce que la création apporte à l’Europe.
Car, quand on parle de l’avenir du droit d’auteur, de la culture et de la création, finalement, on parle moins de la valeur, sonnante et trébuchante, que des valeurs, celles qui nous unissent, celles qui font de l’Europe une terre de création, celles qui contribuent à faire vivre le projet européen. C’est bien là l’essentiel.
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