Révisions

15 juillet 2020 par - économie numérique, spectacle vivant

©Diaphana

II y a quelques jours, Edgar Morin tweetait ceci : « De même qu’il fallait réviser son automobile tous les 10.000 kms, il nous faut réviser nos idées tous les 10 ans, et plus tôt s’il survient une crise majeure, comme celle issue de la pandémie ». Dans un pays où la diffusion d’un film le samedi soir à la télévision en 2020 n’est toujours pas officiellement autorisée(mais rassurons nous les chaînes de TV ont anticipé la sortie prochaine du décret libérateur), cet appel à faire la révision des 10.000 de nos politiques laisse entrevoir un univers infini de changements. Et bien des résistances.

C’est pourtant un exercice qui s’impose, encore plus après la lecture de la dernière passionnante étude du ministère de la Culture, 50 ans de pratiques culturelles en France (https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2020/Cinquante-ans-de-pratiques-culturelles-en-France-CE-2020-2 ).

50 ans qui ont confirmé le goût des français pour la culture et l’avènement d’une société française de plus en plus culturelle. 50 ans qui ont bouleversé la manière d’accéder aux œuvres. 50 ans qui ont vu le numérique révolutionner le rapport aux œuvres et bousculer les supports de diffusion.

Il n’y a bien sûr pas de surprise à lire que la génération du tout-numérique a émergé depuis les années 2000.

Néanmoins, l’étude permet de mieux saisir l’ampleur du phénomène et des enjeux, nombreux, qui sont devant nous et dont au moins 3 devraient retenir toute l’attention de notre nouvelle ministre de la Culture, Roselyne Bachelot : un secteur du spectacle vivant qui tient grâce à la fréquentation des plus âgés mais qui est de plus en plus délaissé par les jeunes (le constat pour le cinéma n’est pas loin d’être identique) ; l’essoufflement des pratiques amateurs ; le risque d’une culture entièrement tournée autour des pratiques numériques, à l’exclusion de toutes les autres.

Répondre à ces défis supposera sans doute de savoir réagir du côté de l’offre, en garantissant la diversité de l' offre culturelle, en soutenant les entreprises culturelles mais aussi les associations dont le tissu et les financements se sont délités, comme du côté de la demande, en conservant l’objectif politique de favoriser l’accès de tous, sans distinction, aux œuvres.

D’ailleurs, même si l’étude tend à montrer que les disparités sociales et géographiques sont moins structurantes dans la fréquentation des espaces culturels, la période de confinement nous a rappelé que cette société du tout-numérique conservait encore de vastes ilots non connectés, techniquement ou socialement, dont les conséquences culturelles et éducatives seront terribles pour beaucoup d’enfants. A l’heure de la nécessaire remise à plat de la politique culturelle, ne l’oublions pas. 

De toute évidence, il va nous falloir trouver de nouveaux moyens et de nouveaux outils pour que ce goût général et global pour la culture ne laisse personne au bord de la route et pour que des arts, et notamment le spectacle vivant ou encore le cinéma, ne perdent pas davantage encore de leur attractivité auprès des publics les plus jeunes.

Le développement de services en lignes de captations par beaucoup de théâtres et d’opéras durant la crise devra être évalué. Au-delà de la viabilité économique de ces offres gratuites, ont-elles été un moyen pour conquérir de nouveaux publics, plus diversifiés et plus jeunes ? De la même manière, la gratuité des musées pour les moins de 26 ans a-t-elle permis d’élargir les publics ou a-t-elle surtout créé des effets d’aubaine pour les enfants des cadres ? C’est le moment où jamais de faire ces évaluations.

Ce sont aussi deux curseurs de la politique culturelle qui gagneraient à être bougés. D’abord, la politique de soutien à la diffusion. Elle est notoirement insuffisante. Que ce soit en cinéma, en audiovisuel ou en spectacle vivant, la noblesse de la politique est moins de favoriser la diffusion que de soutenir la création. C’est une erreur. Si cette étude ne nous fait pas comprendre que ce paradigme doit être dépassé au plus vite et n’aide pas à faire évoluer ceux qui considérent encore – à tort, dans le monde numérique - que la valeur des œuvres nait de leur rareté, c’est à désespérer de notre capacité à réinventer notre politique culturelle.

Ensuite, la démocratisation culturelle n’a clairement pas atteint ces objectifs. C’est un fait, malgré les efforts réels qui ont été faits. Faut-il y renoncer ? Non, au contraire, mais il faut en revoir les formes et mettre le paquet sur l’Ecole qui peut former les futurs artistes et créateurs mais surtout ouvrir les publics de demain à la curiosité, à la découverte et à la diversité. Le temps est venu de mettre en place un grand plan Théâtre à l’Ecole dont l’absence ne serait pas compréhensible plus longtemps.

La politique culturelle doit être créative. C’est sans doute à cette autre conclusion que cette étude sur les pratiques culturelles des français doit nous inviter. Pour que dans 10 ans, on puisse à nouveau commenter les tendances et se réjouir de la généralisation de «  l’éclectisme augmenté », cette case inventée par des statisticiens pour désigner cette population qui cumule les pratiques culturelles, patrimoniales et numériques, dans une intensité supérieure à la moyenne, bref, cette population qui fait vivre la diversité culturelle.

 

 

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Commentaires (2)

 

  1. Eric Peyre dit :

    L’école, la télévision, les réseaux sociaux, je crains fort que ces espoirs placés sur ces acteurs ne soient déçus, cher Pascal !
    Voila bien cinquante ans que les pouvoirs publics essayent d’approfondir les politiques culturelles axées sur les diffuseurs avec ces résultats décevants.
    Réjouissons nous nonobstant d’avoir contribué à garder vivace le désir de partage, de cinéma et de création comme l’a montré cet étrange épisode du confinement…

  2. Dominique Baron dit :

    Excellente analyse, comme toujours, d’un expert de toutes les coulisses de la Culture. Pascal Rogard, qui connait « la boutique », et n’est malheureusement pas au Ministère ou à la tête du CNC. 🙁 Mais il est, heureusement pour nous les auteurs, à la tête de la SACD. 🙂
    Il parle bien de l’indispensable « démocratisation culturelle », mais malheureusement les autorités de tutelle, les patrons de chaînes, les grands groupes audiovisuel-cinéma, les instituts de sondage, etc… confondent depuis trop longtemps « culture démocratique » et « culture populaire rentable », une rentabilité que Nicolas Sarkozy avait déjà exigé dans un discours de 2007 quand il rêvait peut-être avec ses amis de privatiser en partie France Télévisions…
    La SACD protège très bien nos droits et périmètres d’auteurs mais encore faudrait-il que le monde perturbé ne nous en prive pas 🙂 Mais réjouissons nous du partage confiné évoqué par Eric Peyre… à condition que les tournages ne se fassent pas en VFX virtuels et fonds verts avec des comédiens en hologrammes… ??

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