Quand j’entends le mot ministère de la culture je sors mon revolver
16 février 2022 par Pascal Rogard - audiovisuel, diversité culturelle
Les serpents de mer ont la vie longue et les écailles solides . Il en est un beau qui refait surface à chaque élection présidentielle : la suppression ou le dépeçage du ministère de la Culture qui, pour le rattacher à l’ Education nationale et faire émerger ce que d’aucun ont appelé un Ministère de l’intelligence, qui pour en attribuer un morceau à Bercy ou à Matignon.
La menace, une nouvelle fois, est palpable. Des articles commencent à fleurir dans la presse pour évoquer des hypothèses et parfois même désigner de potentiels titulaires de ce nouveau maroquin, finalement pas si nouveau puisque Jack Lang – mais il fût le seul - avait expérimenté le poste de Ministre de l’Education et de la Culture entre 1992 et 1993.
L’absence de nouvelle fusion de ces deux portefeuilles depuis devrait toutefois interpeller les penseurs modernes de cette formule quant à son efficacité et sa nécessité.
A l’extérieur d’abord, la disparition en France d’un ministère autonome de la Culture, invention française dont le premier titulaire était tout de même André Malraux, serait un désastreux signal et un témoignage du recul de notre pays à défendre et à porter un message et une ambition pour la Culture.
Pour le pays qui a porté à bout de bras l’exception culturelle, et plus récemment l’adoption de directives innovantes en matière de droit d’auteur et d’intégration des plateformes numériques dans le financement de la création, cette suppression affaiblirait considérablement la puissance et la voix de la France, en Europe et ailleurs. Au final, cela serait perçu comme un abandon et nous isolerait davantage.
A cette perte de visibilité et d’influence à l’international sur les enjeux culturels, le détricotage du ministère de la Culture aurait aussi des conséquences en France.
Comment la Culture pourrait-elle exister et peser dans un ministère de l’Education au budget 14 fois supérieur, qui compte plus d’1,1 millions de personnels et qui absorbe naturellement toute l’activité et le temps d’un ministre ?
Il faudrait alors sans doute nommer un Secrétaire d’Etat ou un ministre délégué dont on imagine aisément que le poids politique et les capacités d’action bien moindres aboutiraient à des arbitrages perdus dans les réunions interministérielles.
C’est aussi une étrange conception de la Culture que de vouloir la réduire à sa dimension éducative.
Que l’enjeu de la démocratisation culturelle, qui commence à l’école, soit central est une évidence, encore plus quand on observe l’évolution des pratiques culturelles et le risque d’un éloignement des publics avec le cinéma ou le spectacle vivant.
Que l’Ecole doive renforcer son engagement en faveur de l’éducation artistique et culturelle va aussi de soi. C’est même une priorité qui devra être inscrite au cœur du prochain quinquennat pour la culture. Mais, établir un corridor ministériel pour la culture autour de la seule politique d’éducation artistique serait une double-erreur.
Cette nouvelle architecture politico-administrative marquerait le divorce entre ce qui relève de la culture et ce qui ressort de la Communication qui pourrait alors se trouver rattachée ou absorbée par Bercy ou un Ministère économique.
Cette dichotomie ne serait pas sans lien avec le discours univoque qui s’est développé avec force ces dernières années autour des industries culturelles et créatives et qui a trop souvent négligé ce qui était cher au Président Jacques Chirac et qu’il a réussi à faire inscrire dans la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle : les biens culturels sont des biens économiques mais aussi des biens immatériels et intellectuels dont la nature duale doit être appréhendée globalement.
En détachant la communication de la culture, on créerait les conditions pour que les futurs décrets SMAD ou directives sur le droit d’auteur servent l’intérêt des industries, fussent-elles culturelles, en perdant de vue non seulement la protection et le soutien aux auteurs et aux artistes mais plus globalement une ambition et une vision pour la culture et la création, dans toute sa diversité.
On perdrait aussi de vue comme l'a fait récemment le CSA devenu Arcom la nécessaire défense de notre langue actuellement menacée comme l'a justement noté l'Académie Française par l'invasion bêtifiante des anglicismes.
Le ministère de la Culture et de la Communication est justement le lieu où peuvent s’arbitrer et s’ébaucher des solutions et des régulations tenant compte d’intérêts parfois complémentaires, parfois contradictoires entre une logique industrielle et une logique culturelle.
Limiter le périmètre ministériel de la Culture à sa dimension éducative serait aussi une erreur en ce qu’elle marquerait un renoncement de l’Etat à défendre des orientations politiques.
Dans le spectacle vivant où un chantier important devrait être mené sans tarder et sans faiblir pour définir les enjeux, les contours et les objectifs de la politique publique de l’Etat en matière de spectacle vivant, ce remodelage serait à rebours de ce que doit être un Etat-stratège.
Les collectivités territoriales sont les premiers acteurs du soutien au spectacle, les établissements publics comme l'irremplaçable CNC et le jeune et efficace Centre national de la Musique devraient voir leur pouvoir être renforcé, mais ce n’est en rien contradictoire avec la nécessité dans un pays comme la France de savoir ce que l’Etat veut défendre dans sa politique, en particulier pour la création, et comment il compte s’organiser.
L’élection présidentielle est un moment idéal pour poser les enjeux et dessiner l’avenir. Rien ne s’oppose donc à ce que le monde culturel participe de ce travail et de cette exigence, sans cacher la poussière sous le tapis.
Nous en avons d’ailleurs un grand besoin pour refonder le socle des politiques culturelles. Mais, ce n’est pas en proposant une démarche de démolition administrative qu’on y parviendra mais en donnant du temps à un ou une ministre de construire une nouvelle vision, ce qui n’est pas compatible avec des ministres qui se succèdent tous les 18 mois, et en réformant en profondeur un ministère qui doit impérativement l’être. Bref, pas d’immobilisme mais la volonté d’agir juste !
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Commentaires (1)
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Excellent papier de Pascal Rogard, position à laquelle j’adhère à 100%
Olivier Morel-Maroger